mercredi 3 août 2011

Commises en demeures

 

Enchevêtrure

Une porte se présente, seule,  dressée en plein dehors, une porte de papier qui se déchire sous la poussée ; simple bandeau tendu sur le regard ? Paupière baissée sur le maquis des souvenirs ? On tourne sa poignée de nacre qui reste dans la main, relique prisonnière des doigts refermés. Un pas dans l'échancrure et des lucioles nous guident vers un chantier béant, là où tout s'éclaire.
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Une fillette en short, cheveux courts, est assise au soleil, et serre tout contre elle un gros chien.
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La charpente en angle aigu pointe vers le ciel, l'air siffle entre les poutres de chêne clair, comme fraîchement équarri ; des touffes d'herbe poussent contre des pans de murs inachevés de sorte qu’une incertitude gagne bientôt l'esprit : Il semble que l'œuvre oscille, suspendue entre construction et démolition, à l'image de la Tour de Babel, que le pinceau de Breughel abandonne à l'indécision : s'est-elle déjà partiellement effondrée, sous les assauts des engins dépêchés par une colère divine, voire humaine, ou n'en est-elle qu'à l'amorce de son édification, sûre de sa verticale ; l'œil hésite.
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Qu'importe. Une main d'enfant complètera facilement le dessin. Ce sera donc une maison au tracé sommaire ; lignes ondulantes de murs blancs boursouflés, creusés en leur milieu, bedonnant sous une ceinture basse goudronnée ; fenêtres en quatre rectangles approximatifs sur la façade, de part et d'autre d'une porte de bois plein à deux vantaux : celui du haut, ouvert sur l'obscurité intérieure, celui du bas, toujours fermé pour interdire l'accès aux poules.
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La fillette est maintenant debout, jambes arquées, le chien dans les bras, à côté de son frère.
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Dans quelques années, elle touchera du bout des doigts le toit, le torchis effrité sous la chaux, et les brins de paille sortis comme d'une poupée de chiffons éventrée. Elle s'étonnera un jour de l'absence de volets aux fenêtres.
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La maison sans étage, toute en longueur, parallèle à la route qu'elle surplombe, fait angle avec la grange. Il faut descendre en courant dans l'herbe criblée de fientes jusqu'à la barrière : la factrice, au sourire aiguisé d’une incisive dorée, tient d’une main son vélo et agite de l’autre le courrier. Et puis saluer du pas de la porte le passage de M. Debuyre au volant de son tracteur ; en retour, il soulèvera sa casquette à carreaux.

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