jeudi 15 septembre 2011

fressin sans fin

Fressin sans fin

30 juillet

Des notes flutées, échos d'airs anciens, s'échappent des ruines du château des Créquy ; à l'entrée du village désert, le buste noir de Bernanos, sur son socle, émerge à peine d’un massif de fleurs ; on le dirait sculpté dans une portion de nuit pétrifiée.

31 juillet

La fanfare de Sauchoy : tambours, métallophones, jeunes majorettes et leurs coiffes de plumes ; c'est une enfant envahie qui les regarde, grimace au soleil, leur emboîte le pas, se souvient du carnaval dans le film Orfeo Negro.
Plus tard, à l'adolescence, le monde en recul se séparera d'elle.

01 août

Nous aspire la petite musique médiévale à l'entour du château, spectre du passé qui se lamente  à longueur de temps, là où la pierre cède. Le surgissement de cette époque reculée plisse le temps en accordéon.
Les arbres du bois Madame ont poussé inégalement, alors qu'ils forment depuis toujours une seule tête buissonnante.

02 août

La nature est abandonnée à elle-même. L'été est foulé d'insectes, l'eau de la Créquoise légèrement trouble, son cours alourdi, ralenti par le reflet du ciel couvert. Juste un fond d'eau exténuée.
Et si  nos silhouettes allaient se matérialiser devant nous... dans leur sillage nous marcherions sur nos propres traces.

03 août

J'étais rivée à un poteau ; et toute la vie animale affluait derrière moi, un concert de poules, chats, oies, coqs,  dindons, canards, vaches...
Présence en creux du château appareillé de végétation, ornementé de fastes, de recréations scéniques, sonores, festives, en forme d'incantations.

04 août

Un panneau indique : 'La source de Mouchette' à Planques ; on ne saurait mieux dire l'illusion du retour aux sources. La source est bue. Il reste Mouchette.

05 août

La nuit s'est définitivement confondue avec le passé ; elle a la profondeur glauque d'un puits à peine éclairé par les lueurs de la mémoire et pourfendu d’ ululements.
La poule essuie son bec dans l'herbe, tend le cou dans toutes les directions, pour capter les présences autour d'elle. 

Coups de vents

Coups de vent


16 juillet

Le glissement du TGV l'engourdit, et dans le demi- sommeil qui le gagne son cerveau se met à sécréter des phrases, bavures qu'il recueille de justesse à l'instant précédant le réveil ; il note : « Je sauverai avec les larmes une fine coulée de métal suspendu », et ceci : « J'entends la porte à laquelle je frappe avant d'avoir frappé. »
Aux premiers feux du soleil levant il reprend sa lecture ; l'auteur de Petite bibliothèque du marcheur  cite un passage de Lafargue dans Le piéton de Paris, l'évocation d'un endroit élu, sur les quais, où il fait bon dormir parce que les rêves y sont 'plus distingués'.

Plus tard se dessineront les lignes trébuchantes du relief sur l'horizon, le tracé brisé des montagnes en plein ciel, chantier inachevé.

17 juillet

Il a pressenti l'éclaircie et il s'est  vu marchant jusqu'à un minuscule village atteint en une heure trente par un sentier bordé de jeunes chênes en surplomb de la route et du lit sec du Buëch, qui roulera des eaux boueuses au retour.

18 juillet

Son cœur délogé s'est dissous dans l'atmosphère. A l 'heure de la sieste un grillon s'est posé sur la cape de pluie étalée en tapis de sol sur un versant brûlant, face à la montagne pelée, clairsemée de  sapins ; plus loin une étendue moussue vert thé ; la paix d'un début ou d'une fin de monde, un monde planté de joubarbes roses.

19 juillet

Lire, sous les sommets noyés : c'est gaver une attente. Il retient que l'on marche toujours vers l'ouest, si l'on en croit  D. Thoreau. Mais il ne se dira rien des Brûlants secrets de Stefan Zweig.

20 juillet

Au pied de la cascade de Sainte-Aure, la peau argentée des  sardines du pique-nique s'accorde à la minéralité froide du paysage. Le vent des crêtes soulève l'eau du torrent, un ralenti d'éclaboussures  perlées. Des rapaces tournoient au-dessus des troupeaux de moutons et dans sa tête une mélodie insiste : 'S'asseoir tous deux au bord du flot qui passe, le voiar passer' ; l'image l'accompagne, de promeneurs immobilisés contemplant à distance l'écoulement du temps, en étrangers...

21 juillet

'Sous la tête de Combe Rau', le sentier sinueux présente des paliers, des seuils de pierre ; grimper en ligne droite nécessite le soutien d'une pensée ; le chemin de l'existence se calque  exactement sur le parcours effectué, et l'avenir s'en trouve soudain balisé. A condition de laisser de côté les gouffres, tempêtes et autres imprévisibles.

22 juillet

Les Hauts de Serres, un chemin de crête rocheux d'où se développe la vue sur le Dévoluy. Dans les ruelles du village de Serres, il y a des maisons aux portes somptueusement sculptées que l'on dirait définitivement closes.

23 juillet

Au bord de la Drôme, bleue turquoise en son centre, transparente près des berges , il relit ces mots reçus : 'Le poids de l'être aimé en soi', et ses yeux s'arrêtent sur les galets au fond de la rivière,  parmi lesquels son cœur pense-t-il.

24 juillet

L'abbaye de Valcroissant est un lieu où se respirent dix siècles d'histoire et où les vents gémissent.  Installé à l'ombre d'un énorme marronnier, il lui semble soudain que quelqu'un manque, un ou une cinquième vient d'ajouter son absence au groupe ; il cherche à savoir de qui il peut bien s'agir, et aperçoit alors quatre pots de géraniums alignés sur un muret de pierre, puis un autre, en retrait sur un socle à l'extrémité.
La pierre blonde du bâtiment réchauffe le regard ; la découpe arrondie des fenêtres, l'écrasement des formes disent assez l'humilité des hommes tassés et recroquevillés sous le poids effrayant du ciel.

25 juillet

Vers Chatillon -en-Diois, moisson de fossiles sur un chemin marneux. Cailloux plein les yeux qui vivifient le pas. Infinie lenteur de ce pas montant qui absorbe l'être, épuise toute sa substance ; sensation du corps soulevé comme une motte de terre ; sur la bêche, un pullulement d'insectes.

26 juillet

Pluie qui fait la terre blette à l'arrivée dans Archianes, miniature nichée dans un cirque entouré de falaises grises ébréchées et colorées de rouille. Gouttes d'eau fracassées sur la rambarde d'un balcon  et projetées en corolles ; impassibles géraniums sous l'averse dans les jardinières suspendues ; un bourdon se pose sur le chèvrefeuille qui enlace les barreaux à l'autre bout, où un randonneur est assis tête baissée vers un livre figé sur ses genoux.
Et c'est tout, s'impatiente-t-il. Ou presque, jusqu'à la polenta du soir.

27 juillet

Parvenu au lieu-dit 'Les Nonières', tout ruisselant, il s'enfermera dans une chambre aux murs blancs et lira Tristano meurt jusqu'à la tombée de la nuit, et jusqu'à ce que se referme le livre de la vie de Tristano.

28 juillet

Il lui était difficile de ne pas penser à la transparence fourbe de l'eau des ruisseaux, véhicule de poisons qui infiltraient depuis peu son aspiration à rêver. Sur le col de Seysse où son pas hésitait,  il émergeait des nuages comme une apparition. A Grimone, il se retrouva.